N’est pas agriculteur qui veut : Les contrôles de l’Etat sur les transferts de propriétés et d’exploitations agricoles (Seconde Partie)
Nous avons étudié, dans un précédent article, l’action des SAFER sur les mutations de propriétés agricoles.
Un second type de contrôle est mis en place par la Loi, qui concerne non pas la propriété, mais les faits d’exploitation.
J’achète, on me donne (et j’ai échappé à la préemption de la SAFER…), je loue ou je veux reprendre un bien agricole que j’avais donné à bail, ai-je pour autant le « droit » de l’exploiter ?
OBJECTIFS DU CONTROLE DES STRUCTURES :
Le contrôle des structures, anciennement dénommé « contrôle des cumuls » et visant historiquement à empêcher une trop grande concentration de terres agricoles entre les mêmes mains ou encore un démembrement d’exploitations viables, est un outil de mise en application de la politique d’orientation agricole de l’Etat dont les objectifs actuels sont, dans l’ordre :
- Un objectif prioritaire : l’installation d’agriculteurs, y compris dans une démarche d’installation progressive.
- Et trois objectifs alternatifs :
1° Consolidation ou maintien des exploitations existantes leur permettant d’atteindre ou de conserver une taille économiquement viable ;
2° Développement des systèmes de production combinant performances économique et performance environnementale (apport de 2014) ;
3° Maintien d’une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d’exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d’une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Institué par une loi du 15 juin 1949 et codifié dans le Code Rural et de la Pêche Maritime, il a fait l’objet de nombreuses réformes de renforcement ou d’assouplissement (1958, 1962, 1980, 1984, 1990, 1995, 1999, 2005 et 2006) jusqu’à la Loi d’Avenir du 13 octobre 2014 supposée mettre en place, selon le ministère, « un régime renforcé, simplifié et régionalisé pour éviter les stratégies de contournement (notamment en utilisant le cadre sociétaire, mais on va voir que certaines mesures n’ont pas plu au Conseil Constitutionnel…) et en harmoniser l’application sur le territoire national ».
PARTICULARITES DU CONTROLE DES STRUCTURES
Il s’agit d’un contrôle national, unique en Europe (il s’applique aux exploitations sur le sol français, y compris pour les exploitants étrangers, mais en ne tenant pas compte des terres exploitées à l’étranger) et administratif (arrêté préfectoral = acte administratif unilatéral, avec possibilité de recours devant le Tribunal Administratif) qui s’applique non pas aux transferts de propriétés, mais aux créations ou aux modifications de l’exploitation d’un fonds agricole (installation, agrandissement, réunion, reprise ou suppression d’exploitation, etc.) quel que soit le statut juridique de l’entité exploitante (personne physique ou société).
CHAMP D’APPLICATION : qu’est-ce qui est soumis à contrôle ?
Certaines opérations qui peuvent être envisagées par des agriculteurs en exercice ou de futurs agriculteurs sont soumises à contrôle de l’administration régionale (autrefois départementale) en fonction des critères, tenant aux superficies, aux personnes ou aux distances entre exploitations, fixés par la Loi et explicités par le Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles (SDREA, adopté en Aquitaine le 31 décembre 2015, anciennement départemental) :
- Dépassement du seuil de superficie : Installations, agrandissements ou réunions d’exploitations agricoles au bénéfice d’une exploitation agricole, d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales, d’une superficie supérieure au seuil de déclenchement fixé par le S.D.R.E.A. qui, en Aquitaine, est celui de la Surface Agricole Utile Régionale Moyenne de 34,2 ha[1], pondéré par des coefficients d’équivalence en fonction des types de productions ou des régions naturelles. Les seuils ont été sérieusement rabaissés afin d’élargir le contrôle à un plus grand nombre d’opérations.
Exemples :Vignes du groupe 1 (Bordeaux, Bordeaux Sup, Côtes de blaye, etc.) coeff. 2,01, soit 17 ha[2] ; Vignes du groupe 4 (Pauillac, Pomerol, Pessac Léognan, etc.) coeff. 6,84, soit 5 ha.
- Installations, agrandissements ou réunions d’exploitations portant atteinte à une autre exploitation (exemple : reprise de parcelles louées) :
- supprimant une exploitation agricole dont la superficie excède le seuil fixé par le SDREA ;
- démantelant une exploitation en ramenant sa superficie en deçà de ce seuil ;
- ou la privant d’un bâtiment essentiel (sauf reconstruction ou remplacement).
- Conditions tenant aux personnes : Quelle que soit la surface, les installations, agrandissements ou réunions d’exploitations au bénéfice d’une exploitation agricole :
- dont l’un des membres ayant la qualité d’exploitant ne remplit pas les conditions de capacité (diplômes agricoles) ou d’expérience professionnelle (+ 5 ans sur au moins le 1/3 de la SAUR moyenne).
- et/ou ne comportant pas de membre ayant la qualité d’exploitant,
- et/ou d’un exploitant pluriactif remplissant les conditions de capacité ou d’expérience professionnelle, mais dont les revenus (personnels et non du foyer fiscal, nouveauté 2014) extra-agricoles excèdent 3120 fois le montant horaire du SMIC (hors le cas des « exploitants [pluriactifs dont les revenus excèdent le seuil] engagés dans un dispositif d’installation progressive, au sens de l’article L. 330-2 », nouveauté 2014) ;
Suppression du critère de contrôle lié à l’âge par la Loi de 2014.
- Agrandissements ou réunions d’exploitations avec des parcelles dont la distance par rapport au siège est supérieure à un seuil fixé (de manière manifestement facultative) par le S.D.R.E.A. (art. L. 331-2-I-4°). 10 km en Aquitaine = distance orthodromique[3] entre le siège de l’exploitation du demandeur et le point le plus proche de chaque parcelle faisant l’objet de la demande d’autorisation d’exploiter.
OPERATIONS LIBRES :
A contrario, les autres opérations ne relevant pas de l’un ou l’autre des critères ci-dessus sont « libres » (elles peuvent être réalisées sans autorisation), ainsi que celles résultant de l’apport en société des exploitations individuelles de deux époux ou partenaires de pacs (nouveauté 2014) ou de la transformation, sans modification, d’une exploitation individuelle en exploitation sociétaire.
REGIME DE FAVEUR DE LA DECLARATION PREALABLE POUR LES OPERATIONS FAMILIALES :
Il existe également un régime de simple déclaration préalable, donc beaucoup plus souple, pour certaines opérations dites « familiales » correspondant à mise en valeur d’un bien reçu d’un parent ou allié jusqu’au 3e degré inclus par donation ou succession, par location ou par vente, qui est applicable lorsque sont réunies 4 conditions cumulatives :
- Capacité ou expérience professionnelle du demandeur ;
- Bien libre de location au jour de la déclaration ;
- Bien détenu par le parent ou allié jusqu’au 3e degré depuis au moins 9 ans directement ou par l’intermédiaire d’une société familiale et dont les parts ne peuvent représenter que les biens détenus en propriété.
- Nouvelle condition Loi de 2014 : Les biens sont destinés à l’installation d’un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l’exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n’excède pas le seuil de surface fixé par le S.D.R.E.A. (ne concerne donc pas, a priori, l’installation, qui peut porter sur une superficie excédant le seuil) : restriction importante apportée par la Loi de 2014, qui était souhaitée par diverses organisations agricoles.
LES OPERATIONS SAFER ET LE CONTROLE DES STRUCTURES
La SAFER semble être sortie plutôt gagnante de la Loi de 2014 s’agissant de la soumission de ses opérations au contrôle des structures (le régime était relativement compliqué auparavant, en fonction des cas de figure) dans la mesure où tient tout simplement lieu d’autorisation l’avis favorable donné à la rétrocession par le commissaire du Gouvernement représentant le ministre chargé de l’agriculture (qui doit tout de même tenir compte, dans son avis et en cas de candidatures multiples, non seulement des motifs de rétrocession de la SAFER, mais aussi du SDREA).
La question peut se poser de savoir si cet avis, qui s’apparente désormais plus à une décision faisant grief, pourrait être attaqué devant les juridictions administratives ?
LA DECISION PREFECTORALE D’AUTORISATION OU DE REFUS D’AUTORISATION D’EXPLOITER
S’agissant de la décision du Préfet de Région (prise dans un délai de 4 mois pouvant être porté à 6 mois, après consultation, manifestement facultative désormais, de la Commission Départementale d’Orientation de l’Agriculture), selon le nouvel article L. 331-3-1 du Code Rural : « L’autorisation mentionnée à l’article L. 331-2 peut être refusée :
1° Lorsqu’il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l’article L. 312-1 ;
2° Lorsque l’opération compromet la viabilité de l’exploitation du preneur en place ;
3° Si l’opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations au bénéfice d’une même personne excessifs au regard des critères définis au 3° de l’article L. 331-1 et précisés par le schéma directeur régional des structures agricoles en application de l’article L. 312-1[4], sauf dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place[5] ;
4° Dans le cas d’une mise à disposition de terres à une société, lorsque celle-ci entraîne une réduction du nombre d’emplois salariés ou non-salariés, permanents ou saisonniers, sur les exploitations concernées. »
Le Préfet de la Région va également, désormais, départager les candidatures relevant du même rang de priorité en utilisant une grille de critères très précis, définis dans le SDREA et permettant « noter » l’intérêt économique et environnemental des différents projets concurrents.
En présence de plusieurs candidats à égalité de rang, ce n’est que lorsque l’écart de points sera inférieur ou égal à 10 que pourront être délivrées plusieurs autorisations.
LES OPERATIONS SOCIETAIRES
S’agissant de l’épineuse question des opérations sociétaires[6], la Loi avait envisagé de soumettre à contrôle, en la qualifiant d’agrandissement ou de réunion d’exploitation, toute prise de participation directe ou indirecte d’un agriculteur dans une société agricole.
Cette disposition a été censurée le 9 octobre 2014 par le Conseil Constitutionnel qui a considéré qu’en ne réservant pas cette qualification aux prises de participation significatives, elle portait une atteinte disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi, au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.
La question reste de savoir si, aujourd’hui, une prise de contrôle « significative » par un agriculteur dans une autre société agricole (dont il peut également devenir associé exploitant et pourquoi pas gérant) peut être constitutive d’un agrandissement (ou d’une réunion) d’exploitation sachant que, avant la Loi de 2014, l’administration contrôlait la « double participation » conformément à deux circulaires ministérielles de 2006 et 2008 interprétant des dispositions du Code Rural, inchangées par la Loi de 2014, selon lesquelles :
- « Est qualifié d’exploitation agricole l’ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu’en soient le statut, la forme ou le mode d’organisation juridique ». (art. L. 331-1-1-1°)
- « Est qualifié d’agrandissement d’exploitation ou de réunion d’exploitations au bénéfice d’une personne le fait, pour celle-ci, mettant en valeur une exploitation à titre individuel ou dans le cadre d’une personne morale, d’accroître la superficie de cette exploitation ». (art. L. 331-1-1-2°)
- « Pour déterminer la superficie totale mise en valeur, il est tenu compte de l’ensemble des superficies exploitées par le demandeur, sous quelque forme que ce soit et toutes productions confondues […] ». (art. L. 331-1-1-3°)
- « Une personne associée d’une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de ces unités de production ». (art. R. 331-1).
A défaut de maintien de ce contrôle de la « double participation » (que la Loi de 2014 voulait renforcer « excessivement » selon le Conseil Constitutionnel) toute la règlementation relative au contrôle des structures ne deviendrait qu’un lointain souvenir tant il serait aisé de la contourner.
SANCTIONS EN CAS D’EXPLOITATION SANS AUTORISATION
Enfin, règlementation du contrôle des structures, afin d’en assurer l’efficacité, prévoit un régime de sanctions civiles et administratives (les sanctions pénales ayant été supprimées en 1999) à savoir :
- d’une part, la nullité du bail à ferme, le cas échéant, dont la validité est subordonnée à l’obtention de l’autorisation d’exploiter si elle est nécessaire. Le préfet, le bailleur ou parfois la SAFER peut donc saisir le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux (TPBR) pour voir prononcer ladite nullité ;
- D’autre part, le refus des aides publiques à l’agriculture et des amendes administratives (304,90 à 914,70 €/ha).
La procédure de sanction est assez complexe, le contrevenant étant d’abord mis en demeure de régulariser sa situation (ce qu’il ne peut pas faire s’il exploite en dépit d’une décision de refus d’autorisation d’exploiter déjà rendue…), puis de cesser l’exploitation des terres concernées.
Il peut ensuite contester les sanctions pécuniaires prises à son encontre devant une commission des recours.
BAIL FORCE
Mais la véritable « sanction » est que si à l’expiration de l’année culturale au cours de laquelle la mise en demeure de cesser d’exploiter est devenue définitive un nouveau titulaire du droit d’exploiter n’a pas été retenu, toute personne intéressée peut demander au Tribunal Paritaire des Baux Ruraux le droit d’exploiter le fond, celui-ci fixant les conditions de jouissance (en cas de pluralité de candidats, le TPBR choisi en fonction des priorités définies au SDREA).
En d’autres termes, par exemple, si, en franchissant l’obstacle du droit de préemption de la SAFER, je me porte acquéreur d’une propriété agricole en vue de l’exploiter sans prendre la précaution de conditionner la vente à l’obtention de mon autorisation d’exploiter, je risque donc de me retrouver privé du droit d’exploiter et obligé de louer cette propriété à un tiers qui m’est prioritaire au regard du SDREA…
N’est donc pas exploitant agricole qui veut, loin s’en faut…
Wladimir BLANCHY, avocat au Barreau de Bordeaux
Associé du cabinet de SEZE & BLANCHY – JPA WINE & SPIRITS
w.blanchy@dsb-avocats.com
[1] Autrefois Unité de Référence = 22 ha de vignes de Bx Rouge, soit 120 ha pour les grandes cultures et l’élevage et seuil de contrôle à 1,5 UR
[2] Autrefois 1,5 UR, soit 33 ha de vignes de Bx Rouge et 15 ha pour Pomerol, Pauillac, etc.
[3] Du grec orthodromeîn : courir en ligne droite (« à vol d’oiseau » n’était manifestement pas suffisamment technocratique…).
[4] En Aquitaine, un agrandissement (ou une concentration d’exploitations) est considéré comme excessif lorsque la surface pondérée qu’il est envisagé d’exploiter dépasse 4 fois la SAU régionale moyenne par Agriculteur à Titre Principal (à relativiser, donc, dans les sociétés ayant plusieurs associés exploitants).
[5] Sachant qu’autrefois, la jurisprudence avait pu considérer que l’unicité de candidature n’obligeait pas à la délivrance d’une autorisation (CA Douai 30 jan. 2003 ; RDRur 2003 p. 283 et 475).
[6] On se souviendra, à ce propos, que la loi de 2006, procédant à un assouplissement, était revenue sur l’assimilation à un agrandissement de toute diminution du nombre d’associés exploitants dans une société édictée par la loi de 1999 qui était particulièrement sévère (système du « quotient »).