Bail à ferme – Indemnité au Preneur sortant : la plus-value apportée au fonds par les améliorations réalisées par le preneur ne constitue que le plafond de l’indemnité à laquelle il peut prétendre en fin de bail.

Une procédure girondine, ayant donné lieu à un arrêt de principe de la Cour de Cassation en date du 6 octobre 2016 (3ème ch. civ., n° de pourvoi 15-18.796) rendu sur pourvoi d’une décision de la Cour d’Appel de Bordeaux du 12 février 2015 (ch. soc. sect° B, RG n° 13/07147), vient rappeler aux praticiens quelques règles importantes en matière de calcul et de fixation de l’indemnité qui peut être due au fermier en fin de bail lorsque celui-ci a procédé à des améliorations sur le fonds loué.

Pour mémoire, les principes de l’indemnité au preneur sortant s’articulent autour des articles L 411-69 et suivants du Code rural et de la Pêche Maritime :

L’article L 411-69 énonce que le preneur qui a, par son travail ou ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail.

L’article L 411-71, quant à lui, fixe les règles de calcul de cette indemnité en détaillant les modalités de calcul en fonction de la nature des améliorations, précisant que :

  • Pour les plantations, l’indemnité est égale à l’ensemble des dépenses, y compris la main d’œuvre, évaluées à la date de l’expiration du bail, qui auront été engagées par le preneur avant l’entrée en production, déduction faite d’un amortissement calculé à partir de cette dernière date, sans qu’elle puisse excéder le montant de la plus-value apportée aux fonds louée. (art. L 411-71-2°).

En Gironde, un arrêté préfectoral du 2 décembre 2013 fixe, sauf convention contraire entre les parties, la durée d’amortissement dans le département à un minimum général de 25 ans, réduit à 20 ans pour les cépages Cabernet Francs, Cabernets Sauvignon et Sauvignon Blancs, à partir de l’entrée en production et ce pour l’ensemble des vignobles girondins, la durée étant fixée à dire d’expert à défaut d’accord.

  • Pour les bâtiments et les ouvrages incorporés au sol, l’indemnité, si tant est que les aménagements conservent une valeur effective d’utilisation, est égale au coût des travaux, évalué à la date de l’expiration du bail, réduit, soit selon une table d’amortissement fixée par arrêté préfectoral (art. L 411-71-1°), soit de 6 % par an à défaut d’arrêté.

Dans le département de la Gironde, cette table d’amortissement est également fixée par l’arrêté préfectoral du 2 décembre 2013 (art. 6).

  • Pour les travaux de transformation du sol en vue de sa mise en culture ou d’un changement de culture, l’indemnité est égale à la somme que coûterait, à l’expiration du bail, les travaux fait par le preneur, déduction faite de l’amortissement dont la durée ne peut excéder 18 ans (art. L 411-71-3°).

L’article L 411-73, enfin, fixe les procédures d’autorisation que doit respecter le preneur pour que ses travaux puissent bénéficier d’une indemnité en fin de bail.

Il est en effet de jurisprudence constante qu’aux termes des articles L 411-69 et suivants du Code rural, seuls les travaux préalablement autorisés par le bailleur peuvent faire l’objet d’une indemnisation. (Civ. 3ième 10 juillet 1991 : Bull.civ. IV, n°207. Civ. 3ième 7 mai 2002 : RD rur. 2002. 461).

Peuvent toutefois être exécutés sans l’accord préalable du bailleur :

  • Les travaux dispensés de cette autorisation par la loi n° 67-561 du 12 juillet 1967 relative à l’amélioration de l’habitat et les textes pris pour son application ;
  • Les travaux figurant sur une liste établie par décision administrative pour chaque région naturelle, en tenant compte de la structure et de la vocation des exploitations. Cette liste, établie en Gironde par l’article 10 de l’Arrêté Préfectoral du 2 décembre 2013, ne pourra comprendre que les travaux nécessités par les conditions locales et afférents en ce qui concerne l’amélioration des bâtiments d’exploitation existants, à l’installation de l’eau et de l’électricité dans ceux-ci, à la protection du cheptel vif dans les conditions de salubrité et à la conservation des récoltes et des éléments fertilisants organiques et, en ce qui concerne les ouvrages incorporés au sol, à la participation à des opérations collectives d’assainissement, de drainage et d’irrigation, ainsi qu’aux travaux techniques assurant une meilleure productivité des sols sans changer leur destination naturelle ;
  • Tous travaux, autres que ceux concernant les productions hors sol ainsi que les plantations, dont la période d’amortissement, calculée dans les conditions fixées par l’article L. 411-71, ne dépasse pas de plus de six ans la durée du bail. Toutefois, lorsqu’il n’a pas reçu congé dans le délai prévu à l’article L. 411-47 ou à l’article L. 416-3, selon le cas, il est ajouté à la durée du bail en cours celle du nouveau bail y compris la prorogation de plein droit prévue à l’article L. 411-58, deuxième alinéa.

Il est important de préciser que, même dispensés d’autorisation, le preneur doit impérativement, deux mois avant leur exécution, communiquer au bailleur un état descriptif et estimatif des travaux.

Le bailleur peut alors soit décider de les prendre à sa charge, soit, en cas de désaccord sur les travaux envisagés ou sur leurs modalités d’exécution, pour des motifs sérieux et légitimes, saisir le tribunal paritaire, dans le délai de deux mois à peine de forclusion.

Le preneur peut exécuter ou faire exécuter ces travaux si aucune opposition n’a été formée, si le tribunal n’a pas admis la recevabilité ou le bien-fondé des motifs de l’opposition dont il a été saisi, ou si le bailleur n’a pas entrepris, dans le délai d’un an, les travaux qu’il s’est engagé à exécuter.

Dans l’espèce commentée, la Cour d’Appel de Bordeaux a jugé dans son arrêt du 12 février 2015 qu’à défaut pour le preneur d’avoir respecté l’obligation d’information ci-dessus rappelée, les travaux en question (en l’occurrence la rénovation d’un chai existant) ne peuvent pas être pris en considération pour le calcul de l’indemnité due au preneur sortant, quand bien même seraient-ils dispensés d’autorisation préalable conformément aux dispositions qui précède. La sanction est donc particulièrement sévère pour le preneur.

Un autre point de litige concernait la densité des plantations nouvelles auxquelles le preneur avait procédé.

Alors que le bail autorisait le preneur à procéder à ces plantations nouvelles à condition qu’elles respectent le décret régissant l’appellation d’origine contrôlée, le preneur avait planté à une densité moindre que celle imposée par le texte règlementaire.

En raison de cette condition particulière de son autorisation qui n’avait pas été respectée, le bailleur contestait donc devoir indemnisation en fin de bail à son ex-fermier au titre desdites plantations.

La Cour d’Appel a néanmoins accordé une indemnité au preneur aux motifs que les plantations en question avaient été déclarées auprès de l’administration des douanes et droits indirects et reportées au casier viticole informatisé suivant des densités tolérées à l’époque où les vignes ont été plantées et qu’elles n’avaient fait l’objet d’aucune remarque depuis leur entrée en production, de sorte que ces plantations peuvent revendiquer le droit à l’appellation.

La Cour d’Appel a ajouté que la clause du bail qui conditionne l’autorisation de plantations au respect des règles régissant l’appellation n’avait de sens que pour permettre à l’exploitation de bénéficier de cette appellation, or tel a été le cas puisque le preneur a bénéficié de l’accord de l’administration en ce sens, de sorte que dans les rapports entre le preneur et le bailleur il convient de considérer que les stipulations contractuelles ont été respectées et que, sur le principe, le preneur peut prétendre à indemnité de ce chef…

Il convient de préciser que cette partie de l’arrêt de la Cour d’Appel, relativement critiquable, n’a pas été soumise à la censure de la Cour de Cassation et que la prudence commande donc au fermier de respecter strictement les clauses du cahier des charges de l’appellation concernée lorsqu’il procède à des plantations autorisées par le bailleur.

Enfin, l’arrêt de la Cour de Cassation du 6 octobre 2016 tranche, avec la force d’un arrêt de principe, une question importante qui faisait débat entre les parties.

L’Expert agricole désigné par le Juge des Référés du Tribunal Paritaire des Baux ruraux pour procéder à l’évaluation de l’indemnité au preneur sortant avait, conformément à sa mission judiciaire :

  • Non seulement estimé l’indemnité à laquelle le preneur pouvait prétendre conformément au mode de calcul prévu par l’article L. 411-71 du Code Rural et de la Pêche Maritime ;
  • Mais également donné un avis sur la plus-value apportée au fonds par les améliorations (plantations et constructions) réalisées par le preneur.

Estimant manifestement l’indemnité fixée par l’Expert comme « insuffisante », le preneur avait imaginé demander au Tribunal, statuant au fond sur le rapport de l’Expert, une indemnité correspondant à la plus-value apportée au fonds qui, calculée sur la différence entre valeur de la terre plantée en vigne et celle de la terre nue, était dans cette appellation communale du Médoc environ dix fois supérieure à l’indemnité calculée selon les prescriptions de l’article L. 411-71 du Code Rural et de la Pêche Maritime…

Débouté de cette demande par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux, le preneur avança une débauche d’arguments divers et variés (faute du bailleur dans l’exécution du contrat et dans son obligation de loyauté, accord dérogatoire passé entre les parties, indemnisation des constructions et plantations sur le sol d’autrui de l’article 555 du Code Civil, théorie de l’enrichissement sans cause, etc.) qui furent tous écartés par la Cour d’Appel et par la Cour de Cassation.

La seconde juge en effet que la première a légalement justifié sa décision ;

  • En retenant exactement que les dispositions des articles L. 411-69 et L. 411-71 du Code Rural et de la Pêche Maritime excluent pour le preneur sortant toute autre forme d’indemnisation que l’indemnité égale au coût des travaux et améliorations évalués à l’expiration du bail après déduction d’un amortissement par année d’utilisation, quel que soit le fondement juridique invoqué ;
  • En relevant que les parties n’avaient conclu aucun accord particulier relatif à une indemnisation complémentaire du preneur au titre de la plus-value apportée au fonds loué.

En d’autres termes, s’il est loisible aux parties de convenir librement de modalités de calcul de l’indemnité de fin de bail plus favorables au preneur que ne le sont les modalités légales (sachant qu’inversement le preneur ne peut pas renoncer par avance aux avantages qu’il tire de la loi), à défaut d’un tel accord dument constaté par le juge du fond, sont seules applicables les modalités de calcul tirées des articles L. 411-69 et L. 411-71 du Code Rural, textes spéciaux et d’ordre public, à l’exclusion de tout autre mode d’indemnisation.

Par ailleurs, si les Experts désignés en justice pour calculer l’indemnité au preneur sortant informent généralement le Tribunal de la plus-value apportée au fonds par les améliorations, c’est uniquement parce que celle-ci, mentionnée dans les textes comme référence plafond de l’indemnité due au preneur sortant, n’intervient dans l’appréciation de cette dernière qu’en lui fixant un maximum, ce qui exclut par définition qu’elle puisse être invoqué pour une indemnisation complémentaire ou comme mode d’indemnisation spécifique.

Pour conclure, nous rappellerons :

  • Que la récente loi d’avenir du 14 octobre 2014 prévoit en son article 6 que la demande (judiciaire) en indemnisation se prescrit par douze mois à compter de la date de fin du bail, à peine de forclusion (art. L. 411-69 dernier alinéa) ;
  • Que le débiteur de l’indemnité au preneur sortant est le bailleur, c’est-à-dire, en cas de démembrement de propriété, l’usufruitier.

Le preneur sortant ne doit donc pas tarder à agir, à défaut d’accord amiable, pour faire valoir ses droits devant le Tribunal et…poursuivre la bonne personne.

Stéphane de SEZE – Wladimir BLANCHY

Avocats à la Cour de Bordeaux

Cabinet de SEZE & BLANCHY – JPA WINE & SPIRITS

contact@dsb-avocats.com

Publié dans l’Union Girondine des Vins de Bordeaux du mois de novembre 2016