PRIX DES FERMAGES DES VIGNES : QU’EST-CE QUI CHANGE AVEC L’ARRETE DU PREFET DE LA GIRONDE DU 8 DECEMBRE 2021 ?

Alors qu’il fallait souvent attendre une décennie pour voir la parution de nouveaux arrêtés préfectoraux fixant les prix des fermages viticoles, la parution, coup sur coup, des arrêtés préfectoraux du 15 décembre 2020 et du 8 décembre 2021 sont venus se substituer à l’ancien du 2 décembre 2013 qui régissait les maxima et minima des prix des fermages dans le département de la Gironde.

On se rappelle que l’article L 411-11 du Code Rural et de la Pêche maritime prévoit que le prix des fermages est fixé à partir de barèmes déterminés par l’autorité administrative et que ces barèmes font l’objet d’un nouvel examen au plus tard tous les 6 ans.

Fruit d’âpres négociations entre représentants des bailleurs et représentants des preneurs au sein de la Commission consultative paritaire départementale, le nouvel arrêté préfectoral du 8 décembre 2021, abrogeant celui de l’année précédente, a donc vocation à fixer les nouvelles règles pour les six années à venir.

Alors qu’est-ce qui change ? Cela me concerne-t-il ? Quelles sont les conséquences de ces modifications ? Autant de questions auxquelles le présent article va essayer de répondre, sachant que, comme toutes règles, elles sont nécessairement soumises à interprétation et à négociation.

En se limitant au seul loyer des vignes, nous aborderons donc dans un premier temps l’étendue de ces modifications avant de traiter des conséquences de ces innovations.

I – LA MODIFICATION DES BAREMES DU LOYER DES VIGNES ET SES CONSEQUENCES.

Les modifications apportées par le nouvel arrêté préfectoral du 8 décembre 2021 touchent à la fois les critères des catégories pour appliquer les minima et maxima d’hectolitres de vin servant au calcul des fermages, mais également la notion de structure de l’exploitation.

A – La modification des critères de catégories des minima et maxima.

Il est rappelé que la valeur locative des vignes était déterminée en fonction de l’état du vignoble, du nombre de pieds à l’hectare, de son âge, des pieds manquants ou malades, de sa productivité potentielle, de l’état du palissage, etc…..

L’état constaté fait alors rentrer la parcelle de vigne à évaluer dans une des trois catégories déterminées par l’arrêté préfectoral à laquelle est appliquée la quantité maximale et minimale d’hectolitres/ hectare autorisée au titre du fermage.

La nouveauté du nouvel arrêté préfectoral tient essentiellement dans la suppression, dans les critères à retenir, de l’âge de la vigne.

L’ancien arrêté prévoyait en effet que ne pouvaient briguer la première catégorie des fermages (donc la plus chère) que les vignes « en pleine force de l’âge », la seconde catégorieles vignes « d’âge moyen » et la dernièreles « vignes plus âgée ».

Cela amenait nécessairement à des iniquités lorsque le bailleur avait régulièrement complanté ses vignes pour maintenir leur productivité et se trouvait sanctionné par un faible fermage en fonction de l’année initiale de plantation de sa parcelle.

Le nouvel arrêté supprime ce défaut en retenant le critère de « vignes en bon état d’entretien… de bonne productivité » (- de 5 % de pieds manquants) pour la première catégorie, de « vignes normalement entretenue » (- de 15% de pieds manquants) pour la seconde, et de « vignes avec un nombre de pieds manquants supérieur à 15 % » pour la dernière.

A noter que l’état du palissage et les rendements moyens seront également pris en compte dans les critères et on voit donc ici tout l’intérêt de ne pas hésiter à rédiger un état des lieux complet au moment de la conclusion du bail ou de ses renouvellements.

On notera également qu’alors que les vignes de deuxième catégorie devaient être fixées entre 5 hls/ha et 8 hls/ha dans le précédent arrêté, le maxima de 8 hls/ha a été ramené à 7 hls.

Par ailleurs et pour les vins liquoreux, la catégorie exceptionnelle qui permettait de multiplier par deux les minima et maxima des vignes produisant des crus classés ou « de notoriété reconnue » n’est plus aujourd’hui réservée qu’aux seuls crus classés.

B – La suppression du prix fixé en fonction de la structure parcellaire.

L’ancien arrêté préfectoral prévoyait que le prix du fermage devait être minoré en fonction de la distance des parcelles louées par rapport au centre d’exploitation du fermier.

Ainsi les parcelles situées à plus de 2 kilomètres devaient voir leur fermage minoré de 2 %, de 4 % jusqu’à 8 kilomètres et de 6 % au-delà.

Cette minoration n’a pas été reprise par le nouvel arrêté et les minima et maxima trouveront donc à s’appliquer.

A noter enfin que le prix de conversion de l’hectolitre de vin de l’AOC CANON-FRONSAC, à l’instar de ce qui existait déjà pour les AOC GRAVES et PESSAC-LEOGNAN, ne sera plus fixé sur les cotations moyennes pondérée déterminée par le CIVB mais en appliquant un coefficient correcteur de 1,3 du prix de l’AOC FRONSAC.

C – Les conséquences de la modification des barèmes

Les nouveaux barèmes sont applicables à compter du 1er jour du mois suivant la publication de l’arrêté préfectoral au Recueil des Actes administratifs de la Gironde.

Ainsi tous les baux conclus ou qui se renouvellent à compter de cette date sont soumis à ces nouveaux barèmes. 

Ils ne concernent donc pas les baux de 9 ans en cours pour lesquels il faudra attendre le renouvellement, même si les parties peuvent amiablement anticiper cette date.

Il y a lieu toutefois d’attirer l’attention sur les dispositions prévues par l’article L 411-11 avant dernier alinéa du Code Rural et de la pêche Maritime qui énoncent :

« Ces minima et maxima font l’objet d’un nouvel examen au plus tard tous les six ans. S’ils sont modifiés, le prix des baux en cours ne peut, sous réserve des dispositions figurant au premier alinéa de l’article L 411-13, être révisé que lors du renouvellement ou, s’il s’agit d’un bail à long terme, en début de chaque nouvelle période de neuf ans. A défaut d’accord amiable, le tribunal paritaire des baux ruraux fixe le nouveau prix du bail. »

Cette disposition autorise donc les parties liées par un bail à long terme à demander, si les minima et maxima sont modifiés par l’autorité préfectorale en cours de contrat, la mise en conformité du prix du loyer pour chaque période de 9 ans du contrat en application des nouveaux barèmes.

Le prix du loyer est alors modifié sur la base du nouvel arrêté préfectoral en vigueur à la date de la demande, en fonction de l’arrêté applicable à cette date et le prix appliqué à cette même date.

Les modifications des barèmes de l’arrêté du 8 décembre 2021 ouvrent donc aux parties qui ont contracté un bail à long terme (de 18 ans, 25 ans ou plus) la faculté de solliciter, amiablement ou, à défaut, par le Tribunal paritaire des baux ruraux, la mise en conformité du prix des loyers avec les nouveaux barèmes pour une nouvelle période de 9 ans du bail en cours.

II – LES MODIFICATIONS SUR LE REGIME DES ARRACHAGES ET REPLANTATION DES VIGNES.

L’arrêté préfectoral est venu, dans son article 7-3, clarifier le régime des replantations en précisant que les coûts d’arrachage d’une parcelle de vigne avant replantation incombent au bailleur mettant ainsi un terme à une question qui faisait débat.

Il est rappelé que l’article L 415-8 du Code rural et de la Pêche Maritime laisse le soin à la commission consultative des baux ruraux de déterminer l’étendue et les modalités des obligations du bailleur relatives à la permanence et à la qualité des plantations telles que prévue par l’article 1719-4° du Code civil.

Le nouvel arrêté prévoit la répartition de ces travaux d’arrachage et de replantation :

  • Le bailleur prendra à sa charge l’arrachage, le défoncement et les terrassements éventuels, tous les plants et autres fournitures pour la plantation. Le fermier devra préciser par écrit le motif de l’arrachage et présentera un devis au bailleur pour l’ensemble des opérations. Il devra obtenir par écrit l’accord du bailleur. L’établissement d’un contrat de replantation entre les deux parties est vivement conseillé ;
  • Le preneur prendra en charge la main d’œuvre nécessaire à la plantation et à l’entretien cultural des trois premières années, y compris l’année de plantation, ainsi que tous les travaux et apports culturaux jugés utiles.
  • Il n’y aura pas de paiement de fermage pendant les 3 premières années.

Dans ce cas, il est dû au preneur sortant une indemnité de sortie telle que visée à l’article L 411-69 du Code rural. 

Le nouvel arrêté prévoit donc clairement que la main d’œuvre d’arrachage incombe au bailleur et organise les opérations préalables au travaux (motivation de la nécessité d’arracher, devis à présenter au bailleur, accord écrit, etc…).

On notera toutefois que la dernière phrase concernant l’indemnité de sortie au preneur pour sa main d’œuvre pourrait poser une difficulté juridique dans la mesure où elle fait expressément référence à l’article L 411-69 du Code rural et de la Pêche Maritime relatif à l’indemnisation des améliorations, alors que la Cour de cassation a jugé que les obligations de l’article 1719-4° du Code civil ne constituent pas des « améliorations » et ne rentrent donc pas dans le régime de l’article L 411-69 du Code rural et de la Pêche Maritime (Cass. Civ. 3ème 28 septembre 2011 – n° 10-14.933).

Enfin, il est nécessaire de relever que le nouvel arrêté préfectoral n’a pas repris la disposition de l’ancien qui prévoyait qu’en cas de situation d’arrachage obligatoire par l’organisme de contrôle diligenté par l’ODG, la replantation était à la charge exclusive du bailleur (fournitures + main d’œuvre).

Concernant les complantations, il est rappelé que cette charge incombait en totalité au preneur pour les vignes âgées de moins de 25 ans, à l’exception des cépages Cabernets francs, Cabernets Sauvignon et Sauvignon blancs pour lesquels cet âge était ramené à 20 ans.

Le nouvel arrêté préfectoral rappelle qu’au-delà de ces âges, les travaux seront à la charge du bailleur, mais en laissant aux parties la faculté d’y déroger par convention.

On l’aura compris, le nouvel arrêté préfectoral du 8 décembre 2021 modifie l’une des composantes essentielles du bail, celle du prix, mais laisse une porte grande ouverte à la négociation entre les parties tant pour l’applicabilité des nouvelles mesures que pour leur quantum.

Stéphane de SEZE

Avocat spécialiste en droit rural